Homosexualité
   &
      Science-Fiction Toutes les littératures et tous les films de l'imaginaire
 sous un regard pas comme les autres.

 

 


Le rêve du démiurge,

Ou 50 ans de comédie humaine 


   

  Mélusath    


 

Dernier roman du cycle publié au XXe siècle, "Mélusath" est certainement le premier roman vraiment fantastique du cycle. C'est aussi clairement celui où le mot démiurge trouve toute sa place et tout son sens. Passionné de théâtre, c'est dans ce décor qu'il connaît bien que Francis BERTHELOT a décidé de situer ce roman. J'en profite d'ailleurs pour mettre en garde dès maintenant le lecteur : ce roman demande de petites connaissances en mythologie grecque (les Atrides : Electre et sa famille), et la lecture de "Hamlet" est aussi vivement recommandée (d'autant que c'est l'une des rares pièces fantastiques de SHAKESPEARE, en plus d'être un chef-d'œuvre).

Katri est une femme pressée qui se rend à son travail. Pimpante actrice d'une quarantaine d'années, elle travaille pour la compagnie du théâtre du Dragon, dirigée par son jeune metteur en scène Wilfried. La compagnie ne tient en fait que grâce aux subsides du ministère de la culture, car ses pièces n'attirent pas les foules. Wilfried se résout donc à tenter un quitte ou double sur sa nouvelle pièce, « Oreste et Pylade », qui décidera de l'avenir de la compagnie. Tellement prise dans ses pensées (et pour cause), elle manque de chuter dans une bouche d'égout ouverte grâce à Gus, qui l'a interpellée juste avant qu'elle ne fasse le pas de trop.

Il lui révèle alors le pot aux roses : il s'agit en fait d'un trompe-l'œil qu'il a dessiné.

Séduite tant par l'art que par l'artiste, elle lui propose de venir avec elle pour le présenter à Wilfried, et en faire éventuellement le nouveau décorateur. Intégré rapidement à la troupe, il noue une relation assez ambiguë avec Wilfried, et Katri se sent donc flouée. Plus la première représentation approche, et plus il semble que la vie et le théâtre en viennent à se confondre, en ce sens que chacun des personnages semble correspondre à un personnage de la pièce. Un démiurge oeuvre-t-il dans l'ombre pour sceller les unions et briser les cœurs ?

Mais surtout, que dire de cet étrange trio :

1 - Katri, une actrice vieillissante rongée par le remords, totalement inconsciente de l'amour fou que lui porte Tom Boulon.

2 - Wilfried, un metteur en scène d'origine ouest-allemande, fils d'un père nazi (plus par intérêt que par adhésion idéologique) complètement effacé et d'une mère qui l'éleva à la schlague (ou plus exactement en le giflant au torchon mouillé), il porte sur lui le lourd fardeau de ce que le philosophe Karl JASPERS appelle la culpabilité allemande.

3 - Gus, totalement amnésique, comme s'il avait voulu oublier son passé, mais pourquoi ?

Et pourquoi cette jeune actrice, recrutée pour la pièce -et jalousée par Katri- croit-elle reconnaître en Gus l'ami de son enfance, bien qu'il portât alors un autre prénom ?

Qu'en dira Muriel à Katri ?

Deux choses sont notoires dans ce roman : il est à la fois la première pierre angulaire du cycle (on ne peut pas le lire de façon indépendante sans l'apprécier totalement), et il amorce clairement un virage incontestable vers le fantastique. Portraits croisés d'êtres culpabilisés plus que véritablement coupables, théâtre des passions dans toute leur cruauté, théâtre de la vie et théâtre vivant, c'est à un fascinant jeu de miroir que nous convie ce roman, où l'on sent encore couler en sourdine le flot de liberté hérité de Mai-68. On pourrait aussi penser ce livre comme un pendant romanesque de la pièce de Jean GENET "Le balcon".

Véritable fondation du cycle, ce roman est le premier qui ne peut plus se lire de façon indépendante, si l'on veut toutefois en apprécier pleinement l'intrigue et les personnages. C'est donc avec ce troisième roman que vous avez l'occasion rêvée de porter un premier jugement sur l'ensemble du cycle, et de voir si vous voulez ou non en continuer la lecture, en enchaînant sur "Le jeu du cormoran".

 

  Le jeu du cormoran    

 

"Le jeu du cormoran" remet lui en scène le fameux cirque du "Jongleur interrompu", en plein dans les Landes, dans les années 70.

Ivan Algeiba, enfant lors de la mort de Constantin, est un viril acrobate de dix-neuf ans, qui sera chassé du cirque paternel après une violente dispute avec son père, accessoirement directeur du cirque.

Errant seul, il est  subjugué par la beauté d'un cormoran, et décide de le suivre. Celui-ci l'emmène dans un blockhaus, où il fait la connaissance de l'étrange Moa-Tao. Jeune personne androgyne issue de parents japonais et chinois, cette personne ne semble avoir aucune identité physiologique ou sexuelle, et ne souhaite par conséquent que l'on ne parle de sa personne ni comme "il" ni comme "elle", mais simplement comme "île".

Il se noue immédiatement une passion mi-amicale mi-amoureuse (mais chaste), faite d'attirance et d'amitié entre lui et île.

Apprenant qu'il est à la rue, île va l'emmener chez l'ami qui l'héberge, l'éthylique Tom-Boulon, cet amoureux ignoré qui semble transformer tout ce qu'il touche en alcool. Tandis que le cormoran est toujours là qui veille.

Des Landes à Paris, Ivan et Moa-Tao vont vivre de leurs représentations d'acrobaties en faisant le trajet à pied. Et c'est justement à Paris qu'Ivan, prêt à tout pour permettre à île de devenir ce qu'il est, va, par amour, descendre au fond de l'abjection pour recueillir la somme nécessaire à l'opération de Moa-Tao, pour lui rendre son identité physiologique. Ce n'est qu'avec cette coquette somme que lui et île -accompagné de Tom Boulon- pourront se rendre en Finlande, le pays de Katri, où se trouve le médecin qui pourrait guérir Moa-Tao de son étrange mal. Ils ne voyageront pas seuls cependant, puisque accompagnés de cet étrange cormoran, alors que sa destination naturelle l'aurait mené vers l'hémisphère sud, pour aller y chercher la chaleur dont l'hiver le prive. C'est donc en Finlande que tout semble devoir se jouer, pour eux comme pour île.

L'une des choses les plus frappantes dans ce roman reste la véracité des personnages. Malgré le coté légèrement étrange (du personnage asexué à ce Midas version éthylique), chaque personnage possède une telle vérité que vous avez l'impression de les avoir connus et fréquentés de longue date, et qu'ils sont vraiment réels, et non l'œuvre onirique d'un démiurge.

C'est certainement là toute la force de cette fresque, y compris dans l'ambiguïté de son fantastique, qui se fait bien plus diffuse que légère, arrivé à ce quatrième tome où, telle une musique discrète mais lancinante, le fantastique s'avance à pas feutrés et discrets, dans une œuvre qui gagne vraiment à être connu et reconnu à sa juste valeur, c'est à dire l'œuvre maîtresse d'un auteur majeur de l'imaginaire hexagonal.

 
 

Suite ...

© Olivier - 2005

DHTML Menu / JavaScript Menu Powered By OpenCube