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L'homosexualité dans la SF
française est apparue assez tardivement, sous la plume de Francis Berthelot,
en 1980.
Pourquoi tant de retard ?
Cela tient peut-être à certaines
différences entre les USA et la France.
Il n'y a jamais eu de loi
fédérale contre l'homosexualité aux USA, qui n'était punie que dans certains
Etats. De plus, un amendement à la Constitution garantit une totale liberté
d'expression, y compris donc pour l'homosexualité.
La première collection française
de SF, le Rayon fantastique, sera lancée peu après la Seconde guerre mondiale.
Elle arrive après un grand vide éditorial, car peu de livres de SF ont été
publié en France depuis la mort de Jules Verne et Rosny Ainé (on
peut citer Maurice Renard, Régis Meyssac ou René Barjavel,
pour les plus connus).
C'est aussi l'époque où
l'homosexualité se retrouvait pénalisée pour la première fois depuis la
Révolution. C'est en effet sous Vichy que seront votées les premières lois
pénalisant explicitement l'homosexualité en France. Cette loi, condamnant les
relations entre un mineur et un majeur, sera conservée et alourdie à la
Libération, car les relations homosexuelles, quels que soient les âges des
partenaires, seront pénalisées.
Le statu quo perdure jusqu'en
1963, où le parlement débat des fléaux sociaux. Voulant lutter contre
l'alcoolisme, la tuberculose et la prostitution, le gouvernement dépose un
projet de loi en ce sens. Le député Mirguet déposera un amendement, qui
sera adopté et portera son nom : il ajoutait à ces fléaux l'homosexualité !
C'est donc dans ce contexte
législatif que sera publié en 1980 le texte de Francis Berthelot.
Polytechnicien et docteur en
biologie moléculaire, on pourrait penser avoir affaire à un auteur de
hard-science. Mais c'est au contraire un auteur de SF d'une rare sensibilité,
qui pose dès son premier roman la question de l'homosexualité, chamboulant
ainsi le space-opera. Il est en effet l'auteur du premier space-op' où
l'homosexualité joue un rôle central. Ce premier roman, sera d'ailleurs fort
justement récompensé par le prix du festival de Metz, catégorie roman français
en 1980.
L'histoire nous sommes dans un
lointain futur, où l'humanité a colonisé Ganymède depuis maintenant 6 siècles.
Tout à coup, un gouvernement a l'idée de décréter la libre discrimination
contre les Holoms (ceux que l'on appelait homosexuels au XXe siècle), pour les
déporter dans un centre de redressement psychiatrique, rompant ainsi
l'équilibre qui régnait jusqu'ici. Un holom nommé Silex va bientôt se retrouver
au cœur d'une intrigue dont dépendra la sort de toute la constellation. Un beau
space-op', dont l'intrigue n'est pas sans écho avec la fantasy, nous rappelant
que la différence est une richesse et la tolérance une vertu indispensable.
Point positif supplémentaire : le
réalisme passe par le langage. Il suffit de voir comment la langue française a
évolué depuis quelques siècles pour se douter que si l'on parle de millénaires
le langage a beaucoup évolué. Pour ne pas nous égarer, l'auteur a ajouté un
glossaire, qui nous explique le sens des nouveaux mots savoureux, à commencer
par holom.
La fantasy française sera aussi
doté par Berthelot de son premier texte homosexuel, Khanaor. |
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La tolérance est aussi au centre
d'un autre roman de Berthelot, l'un des romans les plus émouvants de la SF
: Rivage des intouchables.
Métaphore sur le sida,
réquisitoire contre la connerie humaine, ce roman est une réussite majeure de
la SF française.
Nous sommes sur Erda-Rann,
planète colonisée par l'humanité dans un lointain futur. Il n'y existe que deux
types de paysage : le désert, chaud et sec, et une sorte d'océan visqueux doté
d'une conscience propre, la Loumka. Les humains se sont séparés en deux clans,
en fonction de leur lieu d'habitation, et s'y sont adaptés au point de muter.
Les Yrvènes vivent sur la Loumka et les Gurdes dans le désert. Les Yrvènes sont
des êtres intuitifs, qui ne se nourrissent que d'éléments liquides, leur peau
est caoutchouteuse et pigmentée. Les Gurdes sont des êtres froidement logiques,
couverts d'écailles et ne se nourrissent que d'éléments solides. La mutation
physique n'a hélas pas éradiquée la connerie humaine, et la guerre civile
ravagera la planète, des atrocités seront commises dans les deux camps, jusqu'à
ce que soit proclamée la paix. La société se base maintenant sur une séparation
très stricte, et les contacts entre les deux groupes sont rigoureusement
interdits par la Loi d'instinct. Il existe cependant une petite minorité, les Transvers,
qui refusent cette loi et vivent en harmonie, refusent la haine et se battent
pour la réconciliation. Puis une étrange maladie commence à faire des ravages
mortels chez les Transvers, ranimant la haine dans les deux camps. Quelle sera
l'issue de cette terrible épreuve : la haine ou l'amour ? Une réussite totale,
un magnifique plaidoyer pour la différence et la tolérance, réflexion poignante
sur les ravages de la maladie et de la connerie, un ouvrage indispensable, qui
fut récompensé en 1991 par un grand prix de l'imaginaire, catégorie roman
français, récompense mille et une fois méritée. |
Brussolo est un auteur
prolixe mais controversé, que ce soit en SF ou dans d'autres domaines.
On trouve des allusions à
l'homosexualité dans deux de ses romans : Ce qui mordait le ciel…et Enfer
vertical.
La sexualité, et plus
généralement la nudité et les organes sexuels, sont souvent évoqués dans son
oeuvre. Mais Brussolo y porte un regard assez biaisé. Non pas qu'il soit
homophobe, mais il semble avoir un rapport assez conflictuel avec la sexualité.
Cette poésie vénéneuse de la chair fait tout le charme de Brussolo pour
ses fans, quant à ses détracteurs, cela leur est rédhibitoire.
Dans Ce qui mordait le ciel…,
le cadre d'une entreprise de pompes funèbres galactique se retrouve envoyé sur
une planète pour enquêter sur une bourde commise par son entreprise.
Elle a en effet mis au point une
puce qui crée à la mort de son porteur un cercueil transparent mais
indestructible, qui empêche une quelconque dégradation du corps. Initialement
prévu pour une caste de moines-soldats, cette puce a été injectée par erreur
comme vaccin à un troupeau de pachydermes destiné à nourrir une planète
sous-développée, colonisée par les humains.
Chaque pachyderme qui meurt crée
donc autour de lui une montagne indestructible. Or, les gens qui habitent à
proximité de ces nouvelles montagnes refusent de partir, et décident donc de
s'adapter à tout prix, ce qui donne des résultats assez surprenants.
D'aventures en aventures, notre cadre se retrouve enrôlé de force dans une
armée qui veut détruire à coup de boulets de canon ces montagnes. Il sympathise
avec un infortuné enrôlé de force comme lui, qui lui propose finalement d'avoir
des relations sexuelles avec lui. La réaction de notre cadre est très claire :
pas de ça avec moi. Il se rend alors compte qu'il a été manipulé par ce
personnage, qui n'a fait ça que pour coucher avec lui.
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Dans Enfer vertical, c'est
un jeune qui se fait abuser par un notable qu'il tue pour se venger. Bien sûr,
personne ne veut le croire, et il est condamné à la prison à vie. Le roman
raconte l'expérience à laquelle il va accepter de se soumettre pour échapper à
la prison.
Comme on peut le voir dans ces
résumés (et c'est encore plus net à la lecture), l'homosexualité pourrait être
absente de ces romans, que cela n'en eût pas changé l'intrigue. De plus, les
homosexuels y apparaissent soit comme un calculateur cynique (Ce qui mordait
le ciel…) soit comme un violeur (Enfer vertical). Bref, autant dire
que les homosexuels n'y ont pas le beau rôle.
Brussolo est-il homophobe
?
La question mérite débat. Je ne
connais pas encore suffisamment son œuvre pour pouvoir trancher, mais pour ce
que j'en ai lu, j'ai remarqué qu'il a visiblement une approche de la sexualité
qui semble refléter certains conflits intérieurs.
Enfin, ne pas donner un beau rôle
à des personnages homosexuels n'est pas forcement être homophobe. |
Greg Egan est un auteur
aussi mystérieux que controversé.
Certains affirment que c'est le
pseudonyme d'un collectif, d'autres qu'il s'agit d'une même personne. Une seule
photo de lui est connue à ce jour, bien qu'elle soit douteuse.
Pour ses fans, c'est un auteur
révolutionnaire, qui a su renouveler complètement la hard-science, en
s'appuyant notamment sur la physique quantique (Isolation), l'informatique
(La cité des permutants), l'anticipation (L'énigme de l'univers)
ou l'homosexualité (Cocon).
Pour ses détracteurs, c'est un
auteur qui tente de faire passer un traité scientifique via son roman, et donc
par là même un auteur incompréhensible pour le profane, ou bien un auteur
prétentieux et ennuyeux pour les initiés.
En tout cas, ses détracteurs et
ses fans sont d'accord sur un point : Téranésie, qui devait être son
grand roman homosexuel est un livre raté.
A vous de voir, si le cœur vous
en dit…
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Je ne pouvais conclure sans bien
sûr parler de William Burroughs, et de son Festin nu, qui nous
narre les délires et les hallucinations d'un junky homosexuel, ou de son très
subversif Les garçons sauvages :
" Nous avons l'intention de détruire toutes
les machines policières. Nous avons l'intention d¹en finir avec les machines de
contrôle et d'éliminer tous les casiers judiciaires. Nous avons l'intention de
détruire tous les systèmes dogmatiques et les vieilles ordures verbales. Nous
allons déraciner le bloc familial et sa cancéreuse expansion, tribus, pays,
nations, et assécher sa source-légume. Nous ne voulons plus entendre le baratin
de la famille, le baratin de la mère, le baratin du père, le baratin du flic,
le baratin du prêtre, le baratin de la patrie, le baratin du partie comme celui
du camarade.
Pour m'exprimer d'une façon pécore facile, je dis que nous avons entendu
suffisamment de merde à ce sujet."
Auteur en marge de la Beat generation,
longtemps partagé entre l'alcoolisme et la toxicomanie, Burroughs est un auteur
unique.
L'homosexualité est au centre de
son œuvre, souvent difficile et exigeante. En effet, ses "romans" ne
comportent que peu de structure narrative stricto sensu : pas vraiment de
début, de milieu et de fin noués par une intrigue.
Il s'agit plus souvent de textes
poétiques, oniriques, d'une poésie sauvage où l'érotisme est souvent poussé
jusqu'à la pornographie. La drogue semble l'avoir beaucoup marqué, car ces
textes apparaissent souvent comme des flashs, des hallucinations et des délires
sortis directement du ça à l'assaut du moi sans passer par le filtrage du
surmoi.
Illisible ou génial, faites vous
un avis avec Le festin nu, Les garçons sauvages. Il a aussi écrit
des livres plus autobiographiques, plus linéaires, comme Junky (sur la
drogue) ou Queer.
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N'hésitez pas à me faire part de
vos commentaires, critiques, impressions sur le forum.
Je me ferai une joie de vous
répondre.
Olivier
[1] Je signale au passage que si
l'homosexualité n'est plus majoritairement considérée comme une déviance en
France, cela l'est encore dans la majorité des pays à travers le monde (la vie
gay en Pologne n'est pas de tout repos), où les homosexuels sont emprisonnés,
torturés voire condamnés à mort, et décapités en public comme en Arabie
Saoudite.
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